DES SCIENCES TOMBEES DU CIEL
Le C.I.E.L, ou CIEL, Cercle d'investigation de l'ethnoastronomie
locale, association créée en 1998, et présidée par Louis Cruchet,
propose au public une première conférence organisée dans ses locaux,
à Papeete, 88 rue Dumont D'Urville, le jeudi 19 septembre de 17h30 à
19h30. Une bonne occasion de faire connaissance avec une science
(encore) peu répandue.
Comme l'explique le président de C.I.E.L,
l'objectif de l'association est simple : " il s'agit de faire
connaître les recherches scientifiques des universitaires (la
plupart américaines), mais aussi celles effectuées " sur le terrain
" par des amateurs confirmés. Ces recherches mettent en relation
architectures, mégalithes, arts ou techniques préhistoriques avec la
position des étoiles, des lunaisons, le calendrier etc. C.I.E.L veut
également rendre compte des réalités souvent totalement ignorées,
des recherches faites en Polynésie. Si l'ethnoarchéologie n'est pas
(encore) une science très répandue, elle n'en est pas moins au cœur
de questions passionnantes." Louis Cruchet en propose d'abord une
définition. Il s'agirait " d'études des sciences anciennes des
étoiles ou de l'astronomie préhistorique ". En réalité, le champ de
recherche est assez vaste et il serait vain de croire que les
sociétés préhistoriques ou anciennes aient eu une " science " des
étoiles susceptibles d'être étudiée comme on étudie l'astronomie à
l'époque post-moderne. Selon l'association, " il conviendrait mieux
de parler d'ethnoastronomie, dans la mesure où il est absolument
nécessaire d'avoir connaissance, par l'étude de terrain, des
relations faites par les sociétés étudiées entre les festivités
culturelles, le calendrier, le cycle annuel et les étoiles, c'est à
dire en fait entre les étoiles et leur appropriation locale.. En ce
qui concerne la Polynésie, il serait vain de vouloir absolument
trouver une cause astronomique à l'orientation des pierres, car la
plupart des sites sont orientés en fonction d'une géographie sacrée
composant avec le relief. Néanmoins de nombreuses études ont montré
l'exactitude d'une telle orientation, à condition d'y adjoindre
d'autres raisons que celles d'une préoccupation purement
astronomique. "
L'archéoastronomie en Polynésie
Louis Cruchet ne manque évidemment pas
d'exemples locaux. Il note ainsi que les " marae Taputapuatea, celui
de Raiatea et celui de Tahiti sur le lieu-dit de la Pointe des
pêcheurs à Punaauia, sont spécifiques en raison de leur orientation
par rapport aux points cardinaux. Mais existe-t-il d'autres centres
religieux pré-européens qui ont eu cette orientation ? C'est ce que
l'archéoastronomie a démontré à Raiatea mais aussi dans d'autres
archipels de la Polynésie. L' archéoastronomie a gagné ses lettres
de noblesse grâce aux recherches américaines effectuées sur l'île de
Pâques et en quelques rares autres archipels polynésiens comme à
Ra'ivavae, toujours selon les recherches américaines. Malcolm Clark,
astronome affecté à la recherche fondamentale, a effectué un travail
de recherche astronomique en Polynésie française. Aidé d'Edmondo
Edwards, archéologue chilien travaillant en collaboration avec le
Musée des îles de Tahiti (département archéologique Te Anavaharau,
Punauia), Clark effectua les relevés des sites lithiques à Raiatea
et aux îles Australes (Ra'ivavae) qui ont montré dans plusieurs cas
une orientation astronomique. Les résultats de ce travail ont été
rapportés au département archéologique de Punaauia. A Ra'ivavae,
l'orientation des cours fermées des marae n'a pas été sans relation
avec le ciel, bien que la plupart ne montrent aucune relation
astronomique. Sur les 39 marae à cour fermée avec " ahui " (sorte
d'autel), Clark a enregistré 7 marae dont les ahu étaient orientés
selon ces repères astronomiques. Le grand axe du marae de
Taputapuatea passe par la pierre dressée sur laquelle étaient
déposés les sacrifices apportés de l'extérieur, ainsi que les ti'i
(pierre sacrée à l'effigie d'un dieu) et to'o (objets sacrés, ornés
de plumes, dédiés à 'Oro). Cet axe est quasiment sur l'axe nord-sud,
alors qu'à Ra'ivavae il passait à 270 °, c'est à dire par l'axe
est-ouest. L'île de Pâques a fait également l'objet d'investigations
astronomiques. William Liller a montré qu'un très grand nombre des
structures mégalithiques de la période des moai était orienté par
rapport à l'axe astronomique nord-sud alors que d'autres étaient
alignés sur l'axe est-ouest. Le nombre de ces structures ne peut
dépendre du hasard. Les Polynésiens ont donc eu la capacité d'ériger
des lieux de culte en tenant compte de critères astronomiques, tels
que l'axe nord-sud ou l'axe est-ouest.
Un calendrier solaire ?
Entre autres questions, le président de C.I.E.L en pose une
relative aux connaissances astronomiques des Polynésiens qui
pouvaient être utilisées pour établissement du compte des mois ou de
tout autre repère servant au calendrier. " Les témoignages des
premiers contacts semblaient plaider en faveur d'une observation du
soleil et certaines investigations, notamment celles sous la
responsabilité du navigateur Thor Heyerdahl dans les années 50, ont
voulu voir dans le lithisme de l'île de Pâques de véritables pierres
solaires. " Pourtant, le calendrier ne semble guère avoir été de
nature solaire, en Polynésie, mais comme de nombreuses autres
cultures africaines, amérindiennes ou asiatiques, les Polynésiens
ont utilisé un calendrier fondé sur l'observation des étoiles, et
tout particulièrement sur l'observation des Pléiades.
A Tahiti les sources de Teuira Henry témoignent en faveur de
l'existence d'un calendrier qu'il conviendrait de qualifier de "
pléiadien " et non de calendrier solaire, comme il en existe sous
d'autres latitudes. Il est écrit que l'apparition des Pléiades
marque le début de la bonne saison correspondant au mois de novembre
et que leur disparition marquait l'avènement de la période sèche et
fraîche correspondante au mois de mai.
Néanmoins, tout un chacun, résidant à Tahiti, peut remarquer combien
il est faux de dire (ou plutôt de traduire) que les Pléiades "
disparaissent " aux dates dites.
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