CE
QUE CACHENT LE SCORPION ET L'HAMEÇON
Lors d'une conférence à l'université vendredi,
soir, Louis Cruchet a lancé un appel pour que les études en sciences
humaines sur les systèmes de représentation des astres soient mises
en œuvre en Polynésie au moins autant que pour l'Ancien monde.
Vendredi soir, à l'Université française du
Pacifique, Louis Cruchet a tenu une conférence sur "l'ethnoastronomie
d'ici et d'ailleurs". Louis Cruchet part du constat que, à une
connaissance astronomique avérée, il correspond une mythologie. La
difficulté résidant dans cette dernière. Aux Etats-Unis, trois
volets de sciences humaines se sont développés, l'ethnoastronomie,
l'ethnoastrologie et l'archéoastronomie. L'Ethnoastronomie est née
dans un contexte de recherche interdisciplinaire, associant
l'exactitude astronomique à la littérature ethnologique. On sait que
la tradition orale de Polynésie et de nombreux textes
ethnographiques font ainsi référence aux astres. L'ethnoastrologie
évoque un aspect ésotérique. Les ethnologues qui relatent les
connaissances astronomiques et les mythes relatifs aux astres, ne
font pas distinction entre astrologie et astronomie. Ainsi, jusqu'à
une époque récente, on ne faisait pas distinction entre astrologie,
sciences des astres, de leurs combinaisons apparentes, et
l'astronomie, qui porte davantage sur les lois, quantifiées qui les
relient.
En pratique, l'ethnoastronomie et l'ethnoastrologie consistent à
étudier les systèmes de représentation des astres dans des sociétés
traditionnelles. L'étude de la culture, des arts, des mythes, de
certaines formes d'écriture, montre une relation entre la forme de
la société et la représentation du cosmos, et finalement le cosmos
lui même.
Maui, l'hameçon
La démonstration est plus claire illustrée par
un exemple. L'Ancien Monde a donné le nom de Scorpion à un ensemble
d'étoiles, auquel on donne le nom générique de constellation. C'est
de l'astrologie. Il n'y a aucun point de vue astronomique entre ces
étoiles. Simplement, on garde l'identification et le repère. La
position de cette constellation dans le ciel varie selon la saison.
Il a été constaté que lorsqu'elle est bien visible, cela correspond
à une période difficile. D'où l'attribution du nom d'un animal
réputé dangereux, mortel. La forme attribuée à la constellation s'y
prête. Dans le Nouveau Monde, c'est la forme du singe qui a été
retenue, pour des motifs différents mais avec la même logique. En
Océanie, la forme de la constellation correspond à celle de l'Ancien
Monde, mais il n'y a pas de scorpion, et la relation avec la vie
n'est pas du tout la même. L'océan et la pêche étant des repères
fondamentaux, Maui, l'hameçon, sera donc le nom choisi.
Mythes marquisiens en allemand et en français
L'archéoastronomie recherche les traces de la
science astronomique dans les vestiges archéologiques. Les
archéoastronomes sont souvent des astronomes qui se sont penchés sur
l'archéologie : cette science est aussi pluridisciplinaire. Au
regard de ces sciences, on s'aperçoit que des graphismes, d'abord
considérés comme ésotériques, représentent en fait la voûte céleste,
que des ensembles monumentaux, tels Stonehenge ou les pyramides, ont
des orientations particulièrement précises (les nœuds lunaires,
Orion) et indicatrices du niveau, élevé, de connaissance
astronomique. Cela pour l'Ancien Monde, qui fait l'objet d'études
approfondies. On le trouve cependant dans le Nouveau Monde :
l'orientation privilégiée est celle des équinoxes. Le fait est rares
dans le monde océanien : Tonga et le trilithe orienté vers les
équinoxes, Hawaii au marae est-ouest. Cela résulte en fait du peu de
recherches menées jusqu'en 1980. Depuis on a relevé quelques cas
montrant une volonté d'orientation. Le propos de Louis Cruchet,
c'est de dire que le Nouveau monde et l'Océanie doivent faire
l'objet de la même recherche patiente et approfondie que l'Ancien
Monde. Il fournit de nombreux exemples.
Pour la Polynésie, le cas des mythes marquisiens est exemplaire.
Recueillis en langue marquisienne, ils furent traduits en allemands,
puis en français. Cette cascade de traductions rend le texte
inexploitable de fait. Revenir à la langue vernaculaire apporte une
lumière nouvelle, et permet de découvrir une représentation très
particulière du cosmos. Les noms, les répétitions et les variantes
peuvent être considérés comme des moyens mnémoniques de donner la
position des astres en fonction du temps. L'application, à la
Polynésie, de ces sciences dans toutes leurs composantes est à peine
esquissée. Louis Cruchet estime qu'il faut maintenant s'y atteler.
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